Un chiffre vaut mieux qu’un long discours : aujourd’hui, il existe plus de 80 versions différentes de la Air Jordan 1 rien que pour l’année 2019. C’est bien simple, chaque paire raconte une histoire, souvent plus fascinante que le modèle lui-même.
Derrière la Air Jordan 1, il y a toujours un clin d’œil à une anecdote ou un souvenir marquant. Prenez le coloris « Bread » : il renvoie à ce jeune joueur qui, du jour au lendemain, a électrisé tout un pays. Ce modèle marque le point de départ d’un phénomène qui dépasse le simple cadre sportif : Michael Jordan, propulsé superstar du marketing, façonne ce qu’on appelle désormais la culture sneakers. Le panneau arrière éclaté ? Il fait référence à ce fameux match d’exhibition en Italie, en 1985, où Jordan a brisé le panneau du panier. Le modèle « Barons » rappelle quant à lui une parenthèse improbable : quand la légende du basket s’est offert une saison en ligue mineure de baseball, le temps d’un break inattendu. Et puis il y a la « Letterman », clin d’œil au survêtement flashy que portait Jordan lors d’un passage télé, où il n’hésite pas à tacler la couleur d’une autre paire, le genre de détail qui nourrit la légende.
Le tout premier pack de rééditions Air Jordan 1, c’est une histoire de pari risqué et d’indifférence générale. En 1994, fraîchement retraité et en pleine reconversion dans l’organigramme des White Sox, Michael Jordan pousse Nike à remettre sur le marché les coloris Bread et Chicago pour fêter les dix ans de la chaussure. Pourtant, le public ne suit pas. Le prix affiché, 80 dollars, rebute pour des baskets jugées démodées. Jordan joue au baseball, la hype s’est déplacée, la Air Jordan 10 vient d’arriver… Résultat, les paires s’accumulent sur les étagères, les promotions s’enchaînent, jusqu’à atteindre la barre des 19,99 dollars. À cette époque, même dans des enseignes improbables comme Sears ou JCPenney, on pouvait tomber sur ces rétros bradées, comme s’en souvient Kenneth Myers Jr., aujourd’hui collectionneur et passionné qui gère le compte Instagram mr_unloved1s. Il raconte comment, à 25 ans, il a développé sa passion pour la Air Jordan 1 en dénichant ces modèles oubliés dans des magasins que personne n’associe aux sneakers de légende.
Ce scénario paraît totalement invraisemblable aujourd’hui. Les mêmes paires qui dormaient sur les rayons à moins de 20 dollars se vendent désormais cent fois plus cher. La Air Jordan 1 s’est imposée comme le pilier de la marque Jordan, elle-même passée sous la bannière Nike en 1997. En novembre, la marque a franchi pour la première fois la barre du milliard de dollars de chiffre d’affaires trimestriel, portée essentiellement par deux modèles : la toute récente Air Jordan 34 et l’inusable Jordan 1 originale.
Pour donner une idée du phénomène, au cours de la seule année 2019, Nike a lancé pas moins de 80 variantes différentes de la Air Jordan 1, tandis que la Jordan 4 a connu 18 sorties. La demande pour ces silhouettes historiques n’a jamais été aussi forte, éclipsant de loin la frénésie initiale du lancement, il y a déjà 35 ans. Et avec la sortie du documentaire « The Last Dance », la passion pour la Air Jordan 1 ne fait que s’intensifier, rendant chaque nouvelle édition plus attendue, plus convoitée.
Finalement, la Air Jordan 1 n’est plus simplement une chaussure, ni même un objet de collection : elle s’est muée en étalon d’une époque, témoin vivant de l’ascension de Michael Jordan et symbole d’une culture qui ne cesse de se réinventer. Qui aurait parié qu’un modèle boudé dans les rayons d’un grand magasin ferait un jour courir la planète entière ?

